Recension : Hong Khanh Dang (dir.), Variations francophones. Vers une Francophonie renouvelée, Paris, Éditions du Félin, coll. « Francophonie et relations internationales », 2024, 416 pages

Texte

Ouvrage Variations francophones

Allons-y tout de suite du seul reproche que nous avons à formuler à l’endroit de ce bel ouvrage : le titre de ce collectif est vraiment mal choisi. Étant donné que la plupart des textes insistent – en fonction de la réalité de l’objet, mais sans doute aussi en fonction de la mode épistémique du moment – sur le caractère pluriel « des » francophonies, on comprend pourquoi on a voulu souligner cette dimension dans le titre même de l’ouvrage. Il aurait été pourtant beaucoup plus judicieux de l’intituler tout simplement par sa fonction : Manuel d’étude de la Francophonie et des francophonies. Car c’est bien un manuel d’études de la Francophonie et des francophonies dont il s’agit, et un manuel de grande qualité dont les textes pourront être offerts à la lecture par les professeurs dont les cours portent soit sur l’Organisation internationale de la Francophonie, soit sur les divers espaces linguistiques francophones.

Divisé en quatre sections et comptant au total 14 chapitres, le manuel s’amorce par une belle introduction signée Hong Khanh Dang et Frédéric Ramel qui offre un d’état des lieux à la fois de l’objet Francophonie et de ses dimensions d’étude.

La première section, dont deux des trois textes sont rédigés par le politologue Christophe Traisnel, offre trois propositions éclairantes, notamment pour penser l’objet « francophonie ». À l’aide des outils de la politique comparée, les deux premiers textes comportent une typologie éclairante du rapport asymétrique qu’entretiennent les acteurs politiques de partout au monde avec la francophonie. À peu près tout est pris en compte : les types d’espaces politiques, les cadres institutionnels (ou leur absence), les types de revendications, les demandes de reconnaissances, et tutti quanti. Le tour d’horizon donne le tournis, tant la réalité des francophonies de par le monde semble contrastée. Il ne fait pas l’impasse non plus sur les difficultés de cet objet nommé « francophonie ». On ressort de la lecture des contributions de Traisnel convaincu qu’il existe bien quelque chose comme un phénomène politique global nommé « francophonie » qui mérite l’attention de la recherche savante. Jean-François Payette clôt cette section épistémologique en soulignant de quelle manière les théories des relations internationales éclairent les recherches sur la francophonie.

La seconde section porte pour sa part sur la Francophonie en tant qu’organisation internationale. Le premier texte de Frédéric Turpin et d’Aymeric Durez rappelle des choses largement connues, mais constitue une excellente synthèse de l’histoire de l’institutionnalisation « à petits pas » et asymétrique de cette organisation, depuis des initiatives spontanées de collaborations de sociétés civiles, en passant par le rêve d’une collaboration intergouvernementale d’égal à égal post-colonisation, jusqu’à la Francophonie multilatérale que l’on connaît aujourd’hui. Dans un texte très riche, Christel Dior Tamegui s’intéresse à la manière dont cet « objet » francophonie a été pensé, critiqué, embrassé, bref, dans la manière dont il a été l’objet de réflexions non seulement philosophiques, mais également stratégiques de la part d’acteurs aux intérêts rarement au diapason. L’auteur conclut que, dans un contexte mondial marqué par l’isolationnisme, « la dynamique du multilatéralisme de la Francophonie est plus que nécessaire ». Dans un tout autre registre, Marc Chevrier propose une réflexion sur ce que l’on nomme la « francophonie » en contexte canadien. Après être retourné aux sources du concept de Francophonie (chez le géographe Onésime Reclus) pour en rappeler l’indispensable dimension culturelle et surtout politique, Chevrier explique à quel point ce concept a été perverti en contexte canadien. L’État fédéral y a cherché activement à dépolitiser cette notion, à la limiter à une simple dimension de capacité linguistique. Chevrier constate que l’on assiste ainsi à une vaste entreprise de dénationalisation du fait français dans ce qu’il nomme, prolongeant des travaux amorcés ailleurs, « l’empire canadien ». La « francophonie » ainsi désubstantialisée, même au Québec, accompagne la lente agonie du fait français au Canada. Ayrton Aubry complète le tableau en s’intéressant à deux mouvements tantôt parallèles, tant croisés, à savoir le panafricanisme et la Francophonie. Parmi les objectifs communs à ces deux mouvements, l’auteur signale l’espoir de proposer « une mondialisation alternative au système libéral anglo-saxon ».

La troisième partie traite d’« enjeux culturels et politiques francophones ». Leila Rezk montre que l’objet Francophonie est à penser dans un monde marqué par un bouleversement « chaotique » des relations internationales dû à la montée en puissance de mouvements identitaires, idéologiques et religieux. Il s’agit, dans ce cas, moins d’une analyse que d’un florilège de transformations, crises et bouleversements récents. François David se demande de son côté quelle est la valeur ajoutée de la Francophonie à la résolution de crises politiques internationales. L’auteur revient sur plusieurs crises contemporaines lors desquels la Francophonie a tenté de jouer un rôle. En dernière analyse, peut-être que, du moins pour l’instant, le rôle pacificateur de la francophonie consiste à permettre le dialogue, à être une sorte d’UNESCO francophone. Benjamin Boutin se demande pour sa part quelle influence réelle peut avoir la Francophonie internationale, bref, à la manière dont elle tente de peser sur les relations internationales. Si succès il y a eu, on note notamment les efforts en vue de la reconnaissance de la diversité culturelle dans les accords internationaux à vocation économique.

La dernière section porte sur divers thèmes sans véritable fils conducteurs. Boniface Bounoung Fouda traite d’un concept récent, « la francophonie économique », dont les modalités concrètes restent (c’est ce qu’on finit par conclure) largement à être définies. Philippe Awono Eyebe prend acte, de manière très large, des divers défis du numérique francophone, différents selon qu’ils se présentent au Nord ou au Sud. Christel Dior Tamegui signe ici un second texte dans ce collectif, qui complète d’une certaine manière le premier, en réfléchissant au rapport paradoxal qu’entretient l’Afrique à la francophonie. Jean Tardif offre une réflexion tout en nuance mais empli d’espoir sur le problème de fond de l’objet « francophonie », à savoir l’énorme difficulté qui consiste à s’entendre sur sa raison d’être et sa mission. Bref, demande Tardif, nous francophones, que voulons-nous faire ensemble ?

C’est à Marc Chevrier que revient l’honneur de clore ce livre, d’une riche conclusion impossible à résumer, mais qui constate qu’il existe quelque chose comme un hiatus incommensurable entre l’ambition humaniste de la Francophonie de s’incarner comme une forme de mondialisation alternative, et ses piètres moyens concrets.

Un bel ouvrage, donc, dont plusieurs textes constituent d’excellentes synthèses ou de belles réflexions sur la, ou les, Francophonie(s).

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François Charbonneau, « Recension : Hong Khanh Dang (dir.), Variations francophones. Vers une Francophonie renouvelée, Paris, Éditions du Félin, coll. « Francophonie et relations internationales », 2024, 416 pages », Revue internationale des francophonies [En ligne], 13 | 2025, mis en ligne le 05 juin 2025, consulté le 06 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1651

Auteur

François Charbonneau

François Charbonneau est Professeur titulaire à l'École d’études politiques de l'université d’Ottawa.

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