L’ouvrage L’emprise et les violences au sein du couple est dirigé par Isabelle Rome et Éric Martinent. Il reçoit comme préface deux contributions qui se répondent entre une lecture politique du ministre français de la Justice et une lecture juridique du doyen de la faculté de droit de l’université Jean Moulin Lyon 3. Voilà un livre ouvert sur une question de société après le mouvement Me Too qui tend à affirmer que toute dénonciation, pour éviter et se restreindre à un procès d’opinion, doit avoir une réponse judiciaire et sociétale. Cette œuvre collective interdisciplinaire et interprofessionnel a une thèse qui rassemble des auteurs engagés :
« Aucune coutume, aucune tradition ou aucune allégation religieuse ne saurait aujourd’hui justifier les violences au sein d’un couple et les violences faites aux femmes. Elles ne relèvent aucunement de la sphère privée mais engagent les valeurs socialement protégées et l’ordre public. L’État a une obligation positive procédurale et matérielle de protéger chaque et toute femme victime de violences ; et, ce, au titre du principe de la protection de la vie, de l’interdiction de traitements inhumains et dégradants ou de celui de non-discrimination »1.
« Toute emprise est sujétion(s) dans des liens de dépendances et d’assujettissement et plus qu’une situation et un état, il s’agit d’un processus ». L’emprise est anthropologique et culturelle et à maille à partir avec l’éducation et l’inconscient collectif. Ici, la thèse de Françoise Héritier est éclairante qui se conçoit du fait de : « La valence inégalitaire des sexes » ; « du privilège exorbitant d’enfanter » et « de la licéité de la pulsion sexuelle masculine »2. L’emprise est une violence autant qu’elle est un apprentissage social qui s’oppose à toute éducation à l’altérité. L’emprise s’immisce au sein des couples en allant bien au-delà des simples conflits pour être une pathologie de la relation qui fonctionne à la domination et à la soumission.
La conscience de l’emprise au sein du couple, quel que soit ce couple, présent, passé, potentiel et quelle que soit sa forme, officielle ou officieuse, est un des engagements de la Francophonie. L’Organisation internationale de la Francophonie plaide pour des politiques engagées sur la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles. Celles-ci sont considérées comme étant un obstacle majeur au développement, ainsi que sur l’autonomisation économique des femmes.
Ce livre se compose de quatre parties qui se répondent les unes aux autres dans une perspective cohérente et complémentaire.
La première partie, la notion d’emprise et l’appréhension des situations vécues, comprend des contributions de Marie-France Hirigoyen, Ernestine Ronai, Sophie Baron Laforet, Lilianne Daligand, notamment. Elles éclairent de leurs regards cliniques une situation permettant de la percevoir, de la qualifier et d’en faire le « diagnostic ». Pour Liliane Daligand, il faut savoir distinguer l’amour fusionnel de la pulsion d’emprise qui est une pathologie de la relation. Elle invite à proposer une thérapie qui a pour visée de redonner à la personne sous emprise d’avoir de nouveau foi en l’Autre et retrouver une estime d’elles-mêmes et une puissance d’agir. Ce médecin légiste dit la part essentielle de l’expertise dans le processus judiciaire. Marie-France Hirigoyen souligne que l’emprise se conçoit et se construit de micro-violences aux agressions psychologiques ou physiques, aux délits à des crimes. Ernestine Ronai souligne qu’il faut savoir comprendre comme l’agresseur met sa victime sous emprise. Elle connaît, selon cet auteur, plusieurs phases : une phase de séduction, une phase de conditionnement, une phase de dépendance et une phase d’inversion de la culpabilité.
La deuxième partie s’attache au signalement et à la dénonciation de faits qui relèvent de situations d’emprise et qui peuvent être dévoilées à l’autorité publique. Marie-France Ceccaldi et Pierre Louis Druais disent, en première part, le sacré du secret professionnel médical, cet ordre public du secret professionnel médical, qui seul permet qu’une relation thérapeutique puisse s’instaurer dans un climat de confiance réciproque. Leur appel pour une réforme du régime juridique du secret professionnel médical pour aider des femmes se trouvant en danger immédiat afin qu’elles puissent être protégées alors qu’elles se trouvent dans une situation de contrainte morale a été concrétisé. Nathalie Kielwasseur exprime en tant que magistrate la mobilisation nécessaire d’une filière de l’urgence dédiée au service d’une justice proactive, alliant mise en sécurité et sécurisation des femmes victimes d’emprise.
La troisième partie traite de l’identification de l’emprise et de son traitement judiciaire qui invite à une articulation des questions répressives, sociales et s’attachant à la parentalité. Tous les auteurs soulignent qu’il convient de coordonner et que tous les intervenants judicaires puissent dialoguer ensemble. La violence du système de justice est une prise de conscience des acteurs de celui-ci au regard des « victimes » et des justiciables. Olivier Christen, Philippe Callen, Anne Dupuy, Anne Sannier, Eric Maurel, Yael Mellul, Ariane Amado, Michel Daccache, Isabelle Dréan Rivette, Nicolas Septe, tous soulignent cette nécessaire articulation, lors de la phase d’enquête et d’instruction, lors du prononcé de la peine, lors du suivi sociojudiciaire, en bref, tout au long de la chaîne pénale.
La quatrième partie est au cœur de la francophonie comme idée d’un universalisme concret et de l’affirmation des droits de l’Homme. Victoria Vanneau en historienne du droit décrit les origines juridiques de l’emprise au sein des couples, la place et le rôle sexués au sein de ceux-ci. Pascale Auraix Jonchière exprime le rôle de la littérature qui justifie, conteste, condamne, réprouve et qui aujourd’hui et majoritairement exprime une transformation des sociétés au profit de l’égalité des droits et d’une nouvelle « civilité » entre les sexes. Louise Langevin énonce qu’il convient d’instaurer une culture de soutien et d’accompagnement des victimes plus qu’un tribunal spécialisé dont on connaît, au Québec, les limites constitutionnelles et organisationnelles. Wafa Tamzini souligne l’emprunt des conceptions religieuses des statuts personnels africains et de l’enjeu « révolutionnaire » en suivant les mouvements arabes concernant les droits des femmes. Andréea Guev Vintila et Francisca Tolédo affirment qu’il faut passer d’une appréhension de l’emprise (une logique de l’intelligence de la situation en partant de la « victime ») à une répression du contrôle coercitif (une analyse critique des faits commis par l’auteur de l’emprise) afin que toute victime puisse être protégée avant que la tragédie pressentie ne se joue « inexorablement ». Chrystelle Gazeau souligne l’essentiel de l’éducation et de la sensibilisation de tout juriste lors de sa formation concernant ces questions tout au long de son parcours universitaire et professionnel. Elisabeth Moiron Braud synthétise les données publiques disponibles à disposition de tous et dont nous pouvons tous nous saisir.
Voilà un ouvrage qui s’inspire d’une philosophie de l’université du quotidien et d’une encyclopédie vivante afin que les pratiques soient améliorées en efficacité et en humanité, au profit de la mise en sécurité et de la sécurisation des victimes d’emprise au sein du couple, des femmes, des enfants et leurs proches. L’exigence de justice et l’humanisation de la justice qu’invitent cet ouvrage participe à l’utopie qu’est la Francophonie comme communauté fraternelle.