La reconstruction de l’Afrique et de la francophonie dans les discours politiques de la France est un ouvrage collectif élaboré par des professeurs de linguistique à l’université de Yaoundé 1 au Cameroun. Sur dix chapitres, deux allocutions de présidents français en Afrique sont décortiquées : l’exposé de Dakar de Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 (chapitres 6 et 9) et celui de Ouagadougou d’Emmanuel Macron le 28 novembre 2017 (chapitres 3, 4, 6, 7 et 10). D’autres discours sont étudiés, comme celui d’Emmanuel Macron à Erevan en 2018 (chapitre 1), à Gao en mai 2017 (chapitre 5) et à l’Académie française en mars 2018 (chapitre 8).
Les contributions permettent de situer les interventions présidentielles françaises (en particulier le discours de Ouagadougou) dans un cadre scientifique. En ce sens, l’ouvrage est comparable aux réactions académiques au discours de Dakar de Nicolas Sarkozy en 20071. Alors que ces réflexions insistaient sur l’histoire de l’Afrique (en miroir de la négation assénée par Nicolas Sarkozy en la matière), le livre dirigé par Paul Zang Zang apporte une compréhension en termes linguistiques et sémiologiques des discours politiques français, et en saisit les impensés coloniaux.
Une qualité de l’ouvrage est la rigueur et la clarté de la plupart des chapitres. La méthodologie est systématiquement détaillée et les perspectives sont complémentaires, ce qui atténue les répétitions entre les textes, bien qu’ils traitent presque tous des discours de Dakar et de Ouagadougou. Par exemple, le chapitre 3, de Ferdinand Njoh Kome en propose une analyse médiatique (une comparaison du débat suscité par le discours d’Emmanuel Macron dans une émission télévisuelle française et une camerounaise), Christophe Premat dans le chapitre 4 analyse ce qui s’inscrit dans ce discours dans la rupture ou la continuité à propos de la politique africaine de la France.
Dans le chapitre 5, Jacques Barro propose une analyse plus contextuelle d’un discours effectué par Emmanuel Macron sur la base militaire de Gao en 2017 : il rappelle que le président français est allé directement sur la base française dans le centre du Mali, sans rencontrer son homologue Ibrahim Boubacar Keïta. Pour Barro, ce comportement relève de la défense par les armes des intérêts français en Afrique, comparable à une entreprise coloniale. Kamila Oulebsir-Oukil met en perspective dans le chapitre 6 le discours de Ouagadougou avec celui de Dakar par Nicolas Sarkozy dix ans plus tôt. Dans les deux cas, l’Afrique est présentée comme devant absolument coopérer avec la France pour exister.
Alors que le titre insiste sur l’Afrique « dans les discours politiques de la France », il aurait pu être encore plus précis et faire figurer le discours « en Afrique » : c’est bien sur le continent que sont énoncés des propos qui charrient des références coloniales (comme le démontre avec habileté le chapitre 5). Sont ainsi laissées de côté les déclarations françaises sur l’Afrique prononcées depuis l’Assemblée nationale française, dont la tonalité est différente2.
De même, il aurait été intéressant de mettre en perspective la verbosité africaine des présidents français avec d’autres discours, y compris sur le territoire français. Par exemple, il est mentionné à la page 123 la question rhétorique d’Emmanuel Macron : « qui oserait déplorer […] ? », qui pourrait être mise en perspective avec deux autres formules utilisées plus tard dans sa présidence : « qui aurait pu prédire la crise climatique ? » et « qui avait prévu ce qui allait se passer [après la mort de Nahel à l’été 2023] ? ». Aussi, d’autres discours d’Emmanuel Macron ont été prononcés en Afrique, notamment au Rwanda en mai 2021, ce qui n’apparaît pas dans l’ouvrage. Or, ce texte, travaillé avec le philosophe camerounais Achille Mbembe aurait permis d’aborder la question de l’évolution des éléments discursifs d’Emmanuel Macron sur l’Afrique.
Quelques erreurs dans la typographie viennent alourdir le propos, et certaines erreurs factuelles ne sont pas corrigées : il est mentionné à la page 59 l’élection en 2016 d’Emmanuel Macron (en réalité élu en 2017). À la page 100, le discours de Ouagadougou en novembre 2017 est indiqué en 2018, il y est fait référence à la page 182 comme « le discours de juillet à Ouagadougou ».
Pris ensemble, les dix chapitres de l’ouvrage forment un tout plutôt cohérent, même s’ils ont été rédigés par autant d’auteurs différents. Il est question de mettre en lumière et de comprendre les usages politiques français de la Francophonie, et l’impensé colonial dans les discours politiques français sur l’Afrique. L’instrumentalisation par la France de la Francophonie, observable dans les discours des présidents français en Afrique, constitue selon les auteurs le générateur de la crise pour l’institution aujourd’hui.